Entretien avec Jean-Michel Javaux

Publié le 31 Mar 2008
Rédigé par 
meyerhe

jm_javaux.jpg(Libre Belgique du 8 mars 2008) Martin Buxant et Francis van de Woestyne

Avez-vous cru un seul instant qu’Ecolo ferait partie du gouvernement définitif ?

Je dois avouer que je ne l’ai jamais exclu totalement depuis le 10 juin. On vit une période exceptionnelle pleine de rebondissements et d’irrationnel. D’ailleurs, je n’exclus toujours pas d’entrer dans le gouvernement cette année. On aurait très bien pu faire comme le SP.A et dire par téléphone : "Non merci, on ne vient pas." Mais on s’est déplacé à l’invitation de Leterme, à quatre, et en connaissant nos marges de manoeuvre pour une discussion si la porte du gouvernement s’était ouvert

Les trois partis francophones de la majorité (MR, PS et CDH) ont demandé qu’Ecolo rejoigne le gouvernement. Pensez-vous que leur invitation était sincère ?

Je pense qu’il y avait du sincère et du moins sincère. Pour des raisons diverses. Chacun était persuadé que l’autre dirait non à Ecolo. Ils ont d’abord cru que les Flamands diraient non. Ça n’a pas été le cas. Ensuite, PS et CDH s’attendaient sans doute à ce que le MR dise non. Mais le MR a dit oui. PS et CDH se sont ensuite substitués à l’acteur qui devait prendre ses responsabilités : Yves Leterme. Lui a été très correct et nous a dit que ce ne serait pas décent ni respectueux pour Ecolo, un parti qui a gagné les élections, de devoir faire en cinq jours un travail de négociation qu’ils ont fait pendant neuf mois. Leterme a demandé si la porte restait ouverte pour l’institutionnel et pour les futurs travaux socio-économiques. Sur l’institutionnel, Ecolo préfère conserver une dynamique des Sages – la formule a fait ses preuves, il n’y a pas besoin d’aller vers une "présidentialisation". Ce n’est pas parce que Philippe Maystadt s’en va et que Joëlle Milquet a un problème qu’il faut briser cette dynamique. Sur le socio-économique, c’est plus compliqué : il n’y a pas de groupe socio-économique. Dès que nous avons dit que nous n’avions pas été invités à participer, Leterme et Reynders ont indiqué qu’on pourrait peut-être entrer en négociation après le 20 mars…

Mais pourquoi entreriez-vous dans un gouvernement après le 23 mars : la situation ne sera pas fondamentalement différente ?

Je pense que si, à un moment donné, nous avons la possibilité d’entrer dans un gouvernement pour trois ans avec un accord qu’on ne doit pas retoucher tous les trois mois, qu’on peut avoir des moyens budgétaires, l’amorce d’un grand ministère du Climat et de l’Environnement…

Mais il y a un ministère du Climat !

Non ! On vient encore de scinder les compétences : on a la Mobilité d’un côté, l’Environnement de l’autre. Il est évident qu’on n’aura pas de grand ministère du Climat. Et je le dis sans être dans la surenchère Javaux / Magnette : les verts sont vraiment prêts à aider Paul Magnette…

Donc, on peut faire de l’écologie sans Ecolo?

Je n’y crois pas : on peut parler d’écologie, on peut amorcer les choses mais les premiers barrages arriveront vite. Paul Magnette s’informe énormément, il a lu mon livre, il est de bonne volonté et je pense qu’il va dans le bon sens sur la réforme écologique. Nous sommes disposés à l’aider s’il reste mais nous sommes aussi disposés à prendre en main un grand ministère de l’Environnement au moment des choix budgétaires. L’état des lieux environnemental est beaucoup plus grave que ce que le Giec a annoncé. La réponse devra venir encore plus rapidement que ce que l’on pensait. Il y a urgence et ce n’est pas uniquement un message de campagne électorale. On ne peut pas faire campagne sur les thèmes écologiques, dire qu’il y a une urgence et puis dire non, on reste dans l’opposition. Donc, Ecolo est dans une position qui n’est pas facile : on ne va pas tirer à vue depuis l’opposition, flinguer. Mais si on veut nous faire entrer au gouvernement pour autre chose que mouiller Ecolo, on répondra à l’invitation.

Le "flirt" politique entre Jean-Michel Javaux et Didier Reynders, est-il sincère ou tactique ?

Honnêtement, il n’y a pas de "flirt". Je veux mettre les choses au point : ça devient une caricature d’utiliser Javaux et Reynders pour bipolariser le paysage politique. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi Joëlle Milquet tombe dans ce piège. PS et MR aimeraient forcer les petits partis, le CDH et Ecolo à choisir. C’est mauvais pour le paysage politique : regardez la France où Le Pen fait des scores dingues quand les programmes de la gauche et de la droite ne se distinguent pas. C’est devenu une stratégie de parler de Reynders/Javaux. Au départ, il y a eu un rapprochement PS et CDH et la réponse a été de dire : "Regardez Javaux est en majorité avec le MR à Amay et Durant l’est à Schaerbeek." C’est formidable…

Mais Didier Reynders évoque souvent votre proximité sur une série de sujets…

Bien entendu, mais nous ne sommes pas naïfs : il y a un isolement total de Didier Reynders pour le moment, un isolement que nous avons connu à une époque chez Ecolo. Le MR veut démontrer qu’il y a une alternative potentielle puisqu’il est brouillé avec le CDH. Je constate aussi que dans toute une série de communes, le PS s’allie avec le MR : à Molenbeek, par exemple, chez notre ami théoricien de la gauche, Philippe Moureaux. A Mons, à Huy,… Je ne veux pas qu’on instrumentalise Ecolo. Le PS a déjà essayé, on s’est affranchi de cette tutelle. Ce n’est sûrement pas pour tomber dans l’orbite du MR.

Sur le fond, y a-t-il des convergences de vue avec le MR, par exemple, au niveau de la gestion des affaires publiques ?

Oui. Mais nous avons des convergences avec les trois partis francophones. Avec le CDH, je peux faire tout un travail autour de la sphère associative. Avec le PS, on peut travailler à la dégradation du pouvoir d’achat des gens. Avec le MR, on partage un souci de rationalisation des outils socio-économiques : il y a un énorme travail à faire à ce niveau en Wallonie. Ceux qui ont porté le plus cela, ce sont les libéraux.

Il y a une amitié qui vous lie à Didier Reynders. Auriez-vous plaidé pour qu’il devienne Premier ministre francophone ?

Il y a deux dimensions à cette question. Primo : je n’ai pas honte de mes amitiés. Elles sont diverses. Et un podium chez Vrebos cela ne traduit pas les relations d’Ecolo avec les autres partis. Didier Reynders n’a pas exploité son image individuelle parce qu’il a fait la part des choses. Ces derniers mois, l’image qu’en ont donnée certaines émissions est injuste. On a opposé celui qui ne s’occupait pas de sa famille et ceux qui s’occupaient de leur famille. Je sais très bien à quel point il aime ses petits enfants et à quel point il aime passer des moments en famille. Mais il a décidé de ne pas la mettre dans la sphère publique, ce qui est un choix. On lui a parfois fait des mauvais procès. C’est quelqu’un d’intelligent et de drôle quand il n’utilise pas son humour aux dépens des autres. J’ai aussi découvert Elio Di Rupo ces dernières semaines, et c’est quelqu’un de très agréable. J’ai une relation équilibrée et décomplexée avec les trois présidents de parti.

Avec Joëlle Milquet ?

Aussi. Ce matin (vendredi, NdlR), nous avons eu des échanges très francs : elle dit qu’elle ne comprend pas qu’Ecolo s’acharne contre elle. Ce n’est pas pour cela que c’est la guerre. Mais nous ne sommes pas dupes de la stratégie de communication du CDH qui essaye de faire passer Ecolo pour des "chochottes". Il y a des limites, à un moment donné, pour qu’il y ait de la confiance entre les partis.

Revenons au poste de Premier ministre : Ecolo aurait-il appuyé Didier Reynders ?

Je suis frappé de voir à quel point les relations interpersonnelles ont pris de l’importance dans le monde politique. Je fais la part des choses. Je sais très bien que le MR est intervenu à Charleroi pour casser un "Olivier" : je ne garde pas de rancune. L’amitié n’intervient pas dans la stratégie politique d’Ecolo. Dans l’absolu, un francophone peut être Premier ministre. Mais il faut qu’il soit au-dessus du lot : asexué linguistiquement. Je pense que ce n’est pas le bon moment. La contrepartie que les francophones devraient donner serait trop importante au moment où on négocie une réforme de l’Etat.

Le PS et le CDH disent la même chose…

Oui. Mais il faut lire l’analyse du patronat flamand : eux ne demandent pas mieux que d’avoir Didier Reynders comme Premier, cela leur permettrait de faire un meilleur lobbying. Arithmétiquement, Didier Reynders pourrait être Premier ministre.

En a-t-il les capacités ?

Assurément. Mais peu importe si c’est lui ou Yves Leterme : dans un gouvernement stabilisé, le chef du gouvernement doit changer de costume. Le prochain Premier ministre ne pourra qu’être au-dessus de la mêlée. Il faut revenir de deux ans en Chine pour ne pas voir qu’il y a un rejet total des petits jeux politiques.

Mais la question ne se pose pas de savoir si ce sera Reynders ou Leterme : c’est Leterme…

Ce n’est pas encore fait. A l’heure où nous parlons, je n’ai pas la certitude qu’ils réussiront à faire un accord de gouvernement d’ici au 20 mars.

Même à cinq ?

Même à cinq. Comprenons-nous bien : je ne le souhaite pas. Je ne suis pas en train de spéculer pour qu’Ecolo entre dans le gouvernement. Mais je trouve qu’il y a tellement de sources de tension jusqu’au 20 mars… Primo : il y a l’axe Reynders-Leterme : ce n’est plus la gloire. Secundo : il y a le départ de Josly Piette – un personnage atypique et au-dessus des clivages. Tertio : il y a une virulence incroyable y compris au sein du gouvernement. Peu sont disposés à aider Yves Leterme, y compris à l’intérieur de son gouvernement. Côté flamand, il y a aussi un enjeu énorme : le CD&V va-t-il rester au-dessus du lot après 2009 ?

Yves Leterme a-t-il les capacités d’un rassembleur, d’un Premier ministre ?

Oui. Il a le potentiel, il a les cartes en mains. Il utilise une méthode non conventionnelle : il ne s’expose pas, il ne prend pas de risques. Mais il a changé en six mois : il est déterminé, optimiste, il a envie de réussir et est conscient que les pièges sont nombreux. C’est un diesel et j’ai un peu peur de la surchauffe, qu’il veuille en faire trop pour rattraper le temps perdu. Il a besoin de beaucoup de temps pour restaurer sa crédibilité côté francophone.

La base d’Ecolo est-elle prête pour une alliance avec le MR après 2009 ?

Nous arrivons les mains libres aux élections. Ecolo n’a d’accord avec personne. Mais il est important qu’Ecolo puisse intégrer les majorités régionales après 2009, car c’est le niveau qui dispose de plus de leviers pour la politique de l’Environnement. Tout dépendra évidemment du résultat des élections.

Quel sera votre principal adversaire dans la perspective de 2009 : n’est-ce pas le CDH finalement qui vous dispute une place pivot ?

Oui. Et c’est sans doute pour cela qu’il va y avoir de plus en plus de frictions entre nous. Ils se profilent sur le terrain environnemental avec parfois de la sincérité et parfois des visées stratégiques. Quand on essaye de nous classer dans les Ecolos ringards, je n’aime pas cela du tout. Les Ecolos modernes seraient pour le retour du nucléaire…

Instinctivement Ecolo n’est-il pas plus enclin à se diriger vers une coalition de type "Olivier" ?

Effectivement. Mais quand on a un parti hyperdominant, le PS, qui est tellement loin des idéaux qu’il est censé défendre, on n’est plus dans la possibilité de monter un "Olivier". A l’inverse, le MR n’a pas le monopole des indépendants et de l’esprit d’entreprise. Je pense que, pour le moment, le MR se préoccupe trop des grands actionnaires et des grands groupes financiers. La Wallonie manque d’un parti qui allie révolution énergétique et esprit d’entreprise : un discours novateur. Nous sommes persuadés que l’écologie est l’avenir de l’économie.